Va-t-on enfin passer de l’esquisse au dessin d’un véritable plan de refonte du système d’allocations en France ? Au cours d’un entretien à Ouest-France paru jeudi 14 novembre, le Premier ministre a tenté de calmer les esprits échauffés des présidents de départements qui déploraient jusqu’ici l’effort budgétaire exigé de 5 milliards d’euros d’économies pour les collectivités dont 2,2 milliards à la charge seule des départements dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025.
Afin d’apaiser la colère de ces territoires, Michel Barnier a donc concédé que les « départements n’ont plus de pouvoir fiscal, mais ont des dépenses contraintes, notamment sociales, qui augmentent… ». Il a donc annoncé « tenir compte de cette spécificité très forte, [qui] se traduira par des ajustements significatifs du Projet de loi de finances sur le volet des collectivités locales ». Le chef du gouvernement a par ailleurs ajouté relancer « le chantier […] autour d’une allocation sociale unique » afin « d’alléger le poids des dépenses sociales à la charge des départements ».
RSA, ASPA… Quelles allocations versent les départements ?
Les départements sont, en effet, en charge du versement de plusieurs prestations et dépenses sociales, dont :
- Le revenu de solidarité active (RSA) ;
- L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ;
- L’aide sociale à hébergement d’une personne âgée (ASH) ;
- La prestation de compensation au handicap (PCH) ;
- L’allocation compensatrice pour tierce personne ;
- L’aide sociale à l’enfance.
Au total, ces mesures sociales et allocations représentaient 4,3 milliards d’euros en 2022, soit 69 % de leurs dépenses de fonctionnement, selon un document de la Drees. L’allocation sociale unique aurait alors pour objectif de faire baisser la note pour les départements en économisant notamment sur les frais de gestion. C’est ce qu’affirmait notamment la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon sur France Info : « Il ne s’agit pas, lorsqu’on parle d’allocation sociale unique, de diminuer les allocations qui sont de droit pour les uns et les autres […] on a dit qu’il était question de rationaliser en fonction de ce à quoi les uns et les autres ont droit. »
Une idée discutée depuis plusieurs années
Mais l’idée d’une allocation sociale unique n’est pas nouvelle. Elle a au contraire été cuisinée et recuisinée à différentes sauces depuis au moins 2016, notamment par la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP). En 2016, le think-tank de tendance libérale - inscrit auprès de l’Assemblée nationale en tant que représentants d’intérêts (en d’autres termes, lobby) sur la liste de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - écrivait alors que « l’objectif de l’allocation sociale unique est aussi d’ancrer dans la société la conviction qu’il est plus intéressant de travailler que de vivre de minima sociaux. » Une phrase qui, sur le fond, semble avoir été reprise depuis par Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, chefs de file des Républicains, respectivement au Sénat et à l’Assemblée nationale, lors de la présentation de leur pacte législatif d’urgence en juillet dernier. Monsieur Retailleau évoquait alors « l’idée d’une allocation unique autour de 70 % du Smic » et destinée à s’assurer « qu’en toutes circonstances quand vous cumulez les 14 aides sociales vous n’aboutissez pas à des situations où il est plus intéressant de rester en inactivité plutôt que de se remettre à travailler ».
Ayant bûché sur le sujet depuis près de huit ans, la Fondation a esquissé les contours que prendrait cette allocation sociale unique. Sur son site Internet, le think-tank indique souhaiter « atteindre un système à deux niveaux qui doit permettre de mettre en place une allocation sociale unique (ASU) gérée automatiquement, au niveau de l’État, par les services fiscaux en fonction des besoins des foyers et un guichet unique de détection et d’examen des situations familiales au niveau des communes. » De même, le think-tank estime que « cette allocation sociale unique [doit être] soumise à un plafond de cumul fixé à 100 % du Smic, dans un premier temps, puis 90 % dans un second temps ». Elle pourrait alors concerner uniquement les « prestations sociales non contributives, c’est-à-dire à la charge exclusive de la solidarité nationale et des finances publiques », soit une soixantaine selon la Fondation.
Pourtant, le projet fait quelques sceptiques. Promise par Emmanuel Macron lors de sa campagne de 2017, l’allocation sociale universelle avait fait l’objet d’un rapport de France Stratégie l’année suivante, attestant que la fusion de 6 allocations (RSA, ASS, prime d’activité, aides au logement, AHH, Aspa et ASI) pouvait entraîner une baisse de revenus pour 3,55 millions de ménages bénéficiaires contre une hausse pour 3,3 millions de foyers, avec de grandes disparités selon les différentes allocations. Le gouvernement avait alors semblé mettre de côté l’idée avant de la ressortir des cartons il y a peu. Reste à savoir comment le gouvernement compte entreprendre ce chantier, celui-ci n’en ayant pour l’heure pas encore dessiné les plans.